Comment t’est venue l’idée de cet album ?
L’aventure Yahho Japon ! fut trop belle pour ne pas avoir envie de repartir en voyage avec Maison Georges.
Le désir d’un nouveau livre était là, et toujours une même obsession inconsciente de raconter des itinérances et des parcours de vie. Je rêvais de dessiner un « road book », d’étirer le temps et les espaces, de raconter le quotidien et la poésie du réel.
Mais aussi, comme défi personnel, tenter d’explorer de nouveaux territoires visuels, sortir de ma zone de confort comme par exemple éprouver une palette polychrome inspirée par l’artisanat de l’enluminure (loin de mon travail habituel plus enclin à utiliser des palettes minimales comme dans Yahho). Ou s’adonner à de nouvelles écritures visuelles très codifiées comme celle du langage cartographique mais aussi, à l’inverse, plus libres et intimistes avec l’usage de l’aquarelle. Bref, je voulais m’aventurer et arpenter la surface de la feuille blanche.
Quelques temps auparavant, j’avais épinglé sur mon bureau un visuel avec un cow-boy dessiné pour les besoins d’une exposition. Dès son apparition, j’avais senti qu’il avait le potentiel d’un personnage. Mon fils, alors en pré-adolescence se posait quelques questions sur la manière d’être en société en tant que garçon et futur homme.
Après avoir fait un livre exclusivement féminin et sur le devenir femme en quelque sorte, je souhaitais me déplacer sur le continent d’en face, celui du devenir-homme. La figure du cow-boy m’a alors semblé intéressante à déconstruire et à travers elle le genre du western.
Quelles sont les autres références qui t’ont nourrie ?
En flânant dans les rayons des librairies, je retombais souvent sur l’œuvre de Henri-David Thoreau que je ne connaissais pas. Les idées autour du anti-héros solitaire, d’école buissonnière, de retour aux sources, de no man’s land, de ré-enchantement, le voisinage des animaux, etc… ça a résonné en moi.
S’en sont suivies quelques autres lectures en lien : Baptiste Morizot, Gaston Bachelard et sa poétique de la rêverie, des écrivains de la génération beat (Jack Kerouac, Richard Brautigan, Patti Smith), des films comme Patterson de Jim Jarmusch, Le Cavalier électrique de Sydney Pollack ou First Cow de Kelly Reichardt.
Mais aussi des références d’enfant comme la série animée Les Mystérieuses Cités d’or qui jouait habilement avec différents modes de narration, la fiction sous forme de dessin animé et le documentaire en prise de vue réelle qui clôturait l’épisode avec l’iconique voix de Jean Topart, conteur hors-pair. Autre référence incontournable : les albums avec vignettes à collectionner des marques Poulain ou Panini.
Comment écrire plusieurs narrations entre récit, fiction et documentaire ?
Avec Maison Georges, le souhait était de proposer un livre avec une facette documentaire. Mais, comme pour Yahho Japon !, je ne voulais pas que ce genre empêche des directions plus fictionnelles. Il fallait une nouvelle fois dessiner un livre à la croisée des chemins.
De plus, et particulièrement pour cet album, je m’étais donné pour défi personnel de manipuler différentes formes d’écriture (textuelles et visuelles), m’extraire d’un « style» unique et uniformisant. C’est alors que l’architecture de l’album est apparue. J’allais raconter une même histoire de quatre « façons » différentes, un album construit à la manière d’un substrat géologique, en quelque sorte, en strates narratives successives. Il n’y a donc pas qu’un seul genre abordé, mais plusieurs qui se répondent et s’entrecroisent : le récit d’aventure sorte de slow western, le cheminement cartographique et son atlas de paysages, les notes de voyage et la collection d’images documentaires.
Qui est Billy ?
Billy est né de « cloud-boy », un jeu de mot tombé du ciel par hasard, hasard heureux, mot tordu jouant de sa ressemblance avec le mot « cow-boy ». J’avais mon personnage et son moteur : un autre cow-boy est possible.
Billy, lui, est un rêveur, un idéaliste, un « pelleteur de nuages » pour reprendre l’expression québécoise qui désigne les idéalistes. Mais, pas que… Il est dans l’action, une rêverie créative et constructive. Ses chemins sont tout à la fois celui de l’aventurier qui découvre, du scientifique qui observe, de l’élève qui s’élève, du poète qui révèle, etc. Il va faire des pas de côté par rapport au cliché dominateur du cow-boy.
Au début, Billy n’est pas certain d’avoir pris la bonne décision de partir. Plusieurs indices nous amènent à le penser. Il est craintif, a le mal du pays. Puis, peu à peu, il se laisse conquérir par la grandeur des paysages et les émotions « en montagnes russes » qu’ils lui procurent. À la fin du voyage initiatique, il est serein et joyeux. À la fois transformé et au plus près de lui. En osmose avec son environnement.
Quelle part / importance prend l’émerveillement, le merveilleux dans ton travail ?
Ma petite enfance ailleurs (Afrique du Sud), même si elle n’est qu’un très vague souvenir, a certainement été fondatrice dans mon rapport au monde.
De plus, j’étais déficiente auditive jusqu’à mes 5 ans. Mes yeux étaient plus grands ouverts que ceux des autres pour compenser. La contemplation est devenue mon sens.
D’autant plus que le décor de mon enfance était habité d’animaux merveilleux, les mêmes, à quelque chose près, que Marco Polo raconte dans son Livre des merveilles : autruches, phacochères, girafes, etc. Mais aussi de paysages extraordinaires et de grands espaces sauvages. Le goût que j’ai développé pour les « émerveillements » au quotidien trouve certainement ses sources à cet endroit.
Propos recueillis par Anne Bensoussan.
Photographie © Mélodie Tyler.